"La forme vraie, dans la perspective entrevue, ce n'est plus celle, extérieure, de l'objet, mais celle, toute mentale, qui s'instaure entre des rapports de nombres et de couleurs - il y a là comme un passage de l'ancienne géométrie à l'algèbre, et de Pythagore à Poussin, sauf que la fin n'est pas dans le savoir. Poussin cherche plutôt - au moment même où le baroque tend à subordonner la peinture à l'architecture - à enrichir la première des pouvoirs propres de la seconde. En même temps reparaît, derrière l'artisan d'une société "esthétique", le grand esprit solitaire qui demande orgueilleusement à son seul regard d'être la forme suffisante où se résorbe un destin. C'est un chemin qui lui sera long et apparemment difficile. Mais sur lequel paraîtront un jour ces admirables chefs-d'oeuvre de transmutation en esprit de la richesse sensible: le Paysage avec un grand chemin (de 1658), les Cendres de Phocion (… ) Et peut-être y aura-t-il dans cette oeuvre la plus complexe de la peinture moderne un cheminement de rêve en rêve, où la question de l'amour, comme le baroque la pose, va reparaître, à partie de nouveau de ses expériences premières, jamais éteintes, l'enfance, le vrai lieu, la femme rédemptrice, le destin? (…) On ne peut se passer, dans le contact avec l'être, de la médiation des êtres particuliers."
Yves Bonnefoy, Rome, 1630, l'horizon du premier baroque (1970)